2020

L'ADCOG est fière de vous présenter le 2ème témoignage de cette série lancée durant le confinement.
Aujourd'hui, Quentin CHIBAUDEL, promotion 2015, nous parle de son expérience au Népal.
Qui suis-je ? Où cours-je ?
Je m’appelle Quentin Chibaudel, diplômé de l'ENSC en 2015 dans la promotion Ada Lovelace. Avant l'ENSC, j'étais à la classe préparatoire polytechnique (à Toulouse) ou plus connu sous le nom de Prépa des INP. C’est une classe préparatoire classique (2 ans) à la différence que le parcours se joue sur un contrôle continue et non pas sur des concours. Suite à l’ENSC, j’ai effectué une thèse (soutenue en 2018) sur l’accès aux soins pour les personnes en situation de handicap mental avançant en âge. Par conséquent, mon expertise porte surtout sur tout ce qui est accessibilité d’un point de vue de méthode, de propositions d’outils (en allant de la récolte de besoin utilisateur jusqu’à un outil finalisé en passant par les phases de test etc) et de réflexion d’accessibilité, notamment pour les personnes en situation de handicap.
Dans cet article, j’aimerais vous faire part d’une expérience à l’étranger que j’ai effectué dans le cadre de mon parcours à l’ENSC. Cela s’adresse un peu à tout le monde : étudiants (pour susciter d’éventuels projets), ingénieurs cogniticiens et chercheurs (j’y viendrai dans la description de mon expérience).
Mon expérience du Népal, de la déficience visuelle et de la mobilité
Nous sommes en 2014, je suis en deuxième année à l’ENSC. Pour mon stage, j’aimerais partir à l’étranger. Je vise d’abord des pays occidentaux (Europe, Amérique du Nord, Océanie). Je me frotte à pas mal d’échecs (refus, absences de réponse, …). Je continue de chercher en élargissant mon champ de recherche. Là, je tombe sur une offre d’une ONG au Népal (Inclusive Empowerment Center), à Pokhara (deuxième ville du pays après Katmandou) proposant de réfléchir l’accessibilité pour les personnes déficientes visuelles. Je les contacte. Et ça marche ! Le 2 mai 2014, je décolle pour un stage d’un peu plus de trois mois dans ce pays.
Je débute ma vie chez l’habitant (chez mon responsable, Khom Raj Sharma). Le décor montagneux est somptueux, à couper le souffle. Après quelques jours d’adaptation, je commence à rencontrer des personnes. Parmi elles, deux sont marquantes : Kumar et Dinesh. Ils ont environ mon âge à l’époque (une vingtaine d’années) et sont tous deux malvoyants (quasiment aveugle) suite à des problèmes de santé. Vers la fin de mon stage, ils me proposent d’aller rencontrer leur famille dans leur village d’enfance. Début d’un road trip incroyable. Je voudrais raconter un moment particulier.
Nous partons d’un village (j’ai oublié le nom pour être honnête) à pied. 8 heures de marche nous attendent pour arriver au village (nommé Rai Dai Dai). Je suis en pleine jungle himalayenne avec deux personnes quasiment aveugle. Nous arrivons à un croisement. Droite ou gauche ? (question à laquelle tout le monde a eu à faire face dans sa vie… mais pas avec deux aveugles). Et là, Dinesh me dit, très sûr de lui « we have to go right » (« il faut aller à droite » pour ceux qui ne digèrent pas l’anglais). Et là, la question fatale « mais tu es sûr de toi ? ». « Oui, oui, me répond-il, fais-moi confiance ». Je ne vous cache pas que j’étais relativement inquiet. Au milieu de la jungle, perdu avec deux aveugles qui m’indiquent mon chemin … Mais il se trouve qu’il a eu raison ! Nous sommes arrivés à bon port quelques heures après.
Moralité de l’histoire
Je soulève par cette histoire plusieurs faits qui peuvent intéresser les cogniticiens. Au-delà de l’aventure humaine incroyable de cette expérience, comment des personnes aveugles se représentent l’espace ? Comment suivent-elles une route ? Comment savent-elles où elles sont ? (c’est là que je m’adresse aux ingénieurs et aux chercheurs). En l’occurrence, mon guide, bien qu’aveugle avait une parfaite connaissance des lieux et du chemin à suivre (et heureusement pour moi) ! Cela interroge sur les capacités du facteur humain à s’adapter aux situations auxquelles il fait face.
En tant qu’ingénieur cogniticien et/ou chercheur dans des domaines similaires, il faut s’appuyer sur l’expertise des gens, comprendre leurs (in)capacités, apprendre à connaître leur mode de fonctionnement et leurs expériences de vie. En comprenant cela et en adaptant d’éventuels outils (comme des outils d’aide à la navigation pour cette population), il est possible de faire des choses assez inattendues et surprenantes. Souvent, il n’y a pas besoin de proposer des outils extrêmement sophistiqués ou complexes. C’est bien l’usage et le facteur humain qui vont faire la différence ! C’est ça aussi le rôle de la cognitique et c’est ce que je voulais mettre en avant par cette histoire.